Samedi soir. Un pub quelconque, que je préfère ne pas nommer. Événement X, à saveur pseudo-intellectuelle. Je suis avec un couple d’amis, et le show n’est pas encore commencé. J’ai envie d’une bière. Je me dirige vers le bar, et j’attends. J’attends assez longtemps, mais c’est correct : le barman a l’air assez occupé, et je suis capable d’être indulgente. Je parviens même à pardonner, non sans une certaine irritation, mon ami le barman lorsqu’un gars me dépasse et se fait servir illico. Soit. Peut-être ne m’a-t-il tout simplement pas remarquée. Mais entretemps, un deuxième individu se présente au bar. J’attends patiemment que le premier termine sa transaction, après quoi je serai servie. Du moins, c’est ce que je crois.
Mais, alors que le barman revient vers
moi et pose son regard sur le deuxième gars qui vient de me dépasser, je
commence sérieusement à croire que ce jeune homme est animé d’une animosité
toute particulière à mon endroit. Malgré tout, je patiente encore, tout en
toisant avec insistance celui qui s’obstine à m’ignorer cordialement. On m’a
souvent dit que j’avais un regard assez expressif. Le genre de regard qui
traduit malgré moi la moindre émotion dès l’instant où elle se manifeste. Le
genre de regard qui est assez difficile à éviter, surtout lorsqu’il est chargé
d’une exaspération exponentielle, et braqué sur toi. À moins de faire exprès.
C’est la conclusion à laquelle j’en
arrive lorsqu’un troisième gars se pointe au bar. Un habitué celui-là. Le
parfait stéréotype de l’artiste raté, celui qui tente lamentablement de se
convaincre de son grandiose talent en portant un béret, un foulard de soie
verte et de grands cheveux frisés. Malheureusement pour toi, mon grand, tous
les foulards de ce monde ne seront jamais garants de ton succès dans le domaine
artistique. Pis honnêtement, tu ressembles à Passe-Montagne. Mais je m’égare.
Ai-je vraiment besoin de spécifier que mon gentil serveur s’apprête à m’ignorer
une troisième fois? C’en est trop. Alors que le wannabe ouvre la bouche et déclare : -J’vas prendre… Je lève mon bras et je
dis : -Euh, scusez???
Le barman daigne enfin me regarder.
Pas avec l’air franchement désolé de celui qui vient de faire poireauter une
cliente pendant 15 minutes. Nenon. Plutôt avec un air de : « Quéssé
tu veux, mon hostie de fatigante? »
Pendant ce temps, mon hippie
défraîchi rate une occasion en or de fermer sa gueule, me confirmant du même
coup l’étendue de sa profonde nullité : -Euh, ouais, j’pense qu’elle était
là avant moi, huhuhu.
Okay, le grand. Jusque-là, ça aurait
pu passer pour un simple moment d’étourderie. Genre, tu m’as pas vue, comme le
barman. Mais maintenant, avec ton petit commentaire innocent, tu viens de me
confirmer ton intention flagrante et délibérée de me dépasser sans scrupules.
J’ai fini par l’avoir, mon hostie
de bière. Sans un mot, sans un sourire, pas même un merci de la part du barman.
Seulement un air bête et l’impression de le déranger. Après quoi il est
retourné rire et niaiser avec le frisé de tout à l’heure.
Le show était nul. Je ne
retournerai plus à cet endroit.